Bulles de divan

 

Dix vents, au cœur des divans, s'agitent en souffles et cherchent à poser leur erre.

Et l'analyste qui ne laisse que la perception de sa présence, à l'instar des courants de l'air, présent dans le non visible, accueille dans son espace ce qui est à s'y (dé)poser. Le divan est tout autant dans le symbolique qu'il est dans le réel.

Comme le bushi japonais, qui porte le sabre et donne à voir dans l'immédiat ce qui est de son rang, l'objet divan convoque l'aire fantastique pour que s'ouvre le rideau d'une scène bien peu accessible autrement.

L'analyste peut exercer une fonction de passeur, comme il serait question pour passer un fleuve d'une rive à l'autre.

Dans l'acception japonaise du "sensei", littéralement de '"celui (l'homme/la femme) qui précède sur un chemin", il est (l'analyste) celui qui a parcouru sa propre exploration de l'être et peut permettre à celui qui vient à lui de pouvoir parcourir son chemin.

Ainsi, s'il est une voie qui passe justement par l'énonciation vocale, de la narration de soi, l'analyste dans sa fonction de passeur doit savoir accompagner celui qui cherche tout comme il se doit d'avoir la capacité à porter l'histoire qui s'inscrit dans un ordre autre que celui du public ou de l'intime.

Dans sa quête d'un autre soi, d'une autre consistance psychique, l'analysant est ainsi "guidé", mais sans carte et sans ordre, vers sa propre advenance.

Quand l'esthétique propose de donner à voir un extérieur embelli, la psychanalyse parvient - pour ceux qui en acceptent les codes de travail - à donner une autre esthétique de l'intérieur, imperceptible à l'œil, mais vécue dans l'intime de soi.

 

Texte libre, publié sur Internet, Annonay, septembre 2014

 


Le temple caché

 

Chacun a au fond de lui un temple caché, de misère, de peine et aussi de haine. Misère qui fait sa honte, peine de ce qui l'affecte et haine pour ce qu'il déteste avoir vécu ou croisé. La vie, dans ce qu'elle nous donne de rencontres, en social ou en privé, trimbale sans cesse un lot vague et informe d'ambivalences. Entre les gens qu'on dit "biens" (du moins pour nous, selon nos critères) et ces quelques autres qui nous atteignent avec ou sans volonté, les ambivalences de ce monde ne permettent pas - et c'est sans doute heureux - de conclure à ne faire d'un penchant le choix le plus absolu, surtout si c'est celui qui nourrit la souffrance. Au-delà de toutes croyances ou espoirs fantasmé celui qui garde une part de foi en l'humanité sait pourtant passer outre les événements les plus durs... du moins jusqu'à ce qu'il rencontre, peut-être, un jour, plus impitoyable situation que ce qu'il avait prévu ou pu vivre jusqu'alors.

 

Nombre de ceux que j'ai eu à croiser, lors d'interventions (pédagogiques ou thérapeutiques) en détention, sont parmi les plus souffrants ayant fait le choix inconscient du maintien dans un espace de peine. Comment parvenir à aider au renouveau de conscience ? comment aider à que se dessine un autre destin, une voie qui soit de résilience et ouvre à la créativité, à la réalisation de soi ? On aura essayé le sport, la musique, la poésie, le cri s'il en faut... pour constater un jour que le média importe peu. Il convient, en tout premier, d'être là, présent auprès de celui qu'on prétend aider, voire aimer. L'autre, cet autre à la fois si lointain, si différent reste pourtant si semblable à moi, à nous... tellement que nombre de ses mots, de ses attitudes font en moi résonner des choses.

 

Je relisais il y a peu Alice Miller, puis ensuite Erich Fromm, avant d'en passer même par quelques détours de livres (dits) sacrés. Ce qui peut faire le filigrane de ces proses et pensées d'auteurs, quels qu'ils soient, c'est l'intérêt - quand il est vrai - pour le tiers-autre, dans un élan simple de gratuité, sans recherche (même inconsciente) d'un retour sur "investissement". Et là, pour le compte, il nous faut admettre, constater, oui, que bien peu nombreux sont les prêcheurs à être désintéressés.

 

J'ai connu des agents hospitaliers avec des cœurs énormes, prompts à écouter toutes les souffrances tout comme je connais des chefs de file, des "maitres à penser" de la psychothérapie qui sont bien incapables d'écouter leurs proches, leurs familles mais qu'on voit souvent - bien beaux en maquillage de toute sorte - sur les plateaux télés.

 

Je me dis souvent, en repensant aux mots de mon père, que les chimères sont nombreuses dans ce monde, et je pense qu'aujourd'hui les technologies permettent d'en fabriquer davantage. Que cherche aujourd'hui l'occidental bien-aisé dans son club de forme, en faisant des régimes de bien-être ou autre (pseudo) ascétisme facile ? Ne chercherait-il pas ce qu'il croit pouvoir trouver ailleurs alors qu'il lui suffirait peut-être de regarder dans sa maison, près de lui, dans son cœur, pour s'apercevoir que la substance de sa vie lui est déjà toute proche. Le reste n'est que jouet, accessoire, ou fard servant à combler son manque.

Mais, nous sommes, je suis, basiquement humain... et donc bien imparfait(s), et en pensées, et en actes. Non ? qu'en diriez-vous ?